II

Le chariot de Thespis

Sigognac descendit l’escalier, protégeant sa lampe avec sa main contre les courants d’air qui menaçaient de l’éteindre. Le reflet de la flamme pénétrait ses phalanges amincies et les teignait d’un rouge diaphane, en sorte que, quoique ce fût la nuit et qu’il marchât suivi d’un chat noir au lieu de précéder le soleil, il méritait l’épithète appliquée par le bon Homère aux doigts de l’Aurore.

Il abaissa la barre de la porte, entr’ouvrit le battant mobile, et se trouva en face d’un personnage au nez duquel il porta sa lampe. Éclairée par ce rayon, une assez grotesque figure se dessina sur le fond d’ombre : un crâne couleur de beurre rance luisait sous la lumière et la pluie. Des cheveux gris plaqués aux tempes, un nez cardinalisé de purée septembrale, tout fleuri de bubelettes, s’épanouissant en bulbe entre deux petits yeux vairons recouverts de sourcils très épais et bizarrement noirs, des joues flasques, martelées de tons vineux et traversées de fibrilles rouges, une bouche lippue d’ivrogne et de satyre, un menton à verrue où s’implantaient quelques poils revêches et durs comme des crins de vergette, composaient un ensemble de physionomie digne d’être sculptée en mascaron sous la corniche du Pont-Neuf. Une certaine bonhomie spirituelle tempérait ce que ces traits pouvaient présenter de peu engageant au premier coup d’œil. Les angles plissés des yeux et les commissures des lèvres remontées vers les oreilles indiquaient d’ailleurs l’intention d’un sourire gracieux. Cette tête de fantoche, servie sur une fraise de blancheur équivoque, surmontait un corps pendu dans une souquenille noire qui saluait en arc de cercle avec une affectation de politesse exagérée.

Les saluts accomplis, le burlesque personnage, prévenant sur les lèvres du Baron la question qui allait en jaillir, prit la parole d’un ton légèrement emphatique et déclamatoire :

« Daignez m’excuser, noble châtelain, si je viens frapper moi-même à la poterne de votre forteresse sans me faire précéder d’un page ou d’un nain sonnant du cor, et cela à une heure avancée. Nécessité n’a pas de loi et force les gens du monde les plus polis à des barbarismes de conduite.

— Que voulez-vous ? interrompit assez sèchement le Baron ennuyé par le verbiage du vieux drôle.

— L’hospitalité pour moi et mes camarades, des princes et des princesses, des Léandres et des Isabelles, des docteurs et des capitaines qui se promènent de bourgs en villes sur le chariot de Thespis, lequel chariot, traîné par des bœufs à la manière antique, est maintenant embourbé à quelques pas de votre château.

— Si je comprends bien ce que vous dites, vous êtes des comédiens de province en tournée et vous avez dévié du droit chemin ?

— On ne saurait mieux élucider mes paroles, répondit l’acteur, et vous parlez de cire. Puis-je espérer que Votre Seigneurie m’accorde ma requête ?

— Quoique ma demeure soit assez délabrée et que je n’aie pas grand’chose à vous offrir, vous y serez toujours un peu moins mal qu’en plein air par une pluie battante. »

Le Pédant, car tel paraissait être son emploi dans la troupe, s’inclina en signe d’assentiment.

Pendant ce colloque, Pierre, éveillé par les abois de Miraut, s’était levé et avait rejoint son maître sous le porche. Mis au fait de ce qui se passait, il alluma une lanterne, et tous trois se dirigèrent vers la charrette embourbée.

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Le Léandre et le Matamore poussaient à la roue, et le Roi piquait les bœufs de son poignard tragique. Les femmes, enveloppées de leurs manteaux, se désespéraient, geignaient et poussaient de petits cris. Ce renfort inattendu, et surtout l’expérience de Pierre, eurent bientôt fait franchir le mauvais pas au lourd chariot, qui, dirigé sur un terrain plus ferme, atteignit le château, passa sous la voûte ogivale et fut rangé dans la cour.

Les bœufs dételés allèrent prendre place à l’écurie à côté du bidet blanc ; les comédiennes sautèrent à bas de la charrette, faisant bouffer leurs jupes fripées, et montèrent, guidées par Sigognac, dans la salle à manger, la pièce la plus habitable de la maison. Pierre trouva au fond du bûcher un fagot et quelques brassées de broussailles qu’il jeta dans la cheminée et qui se mirent à flamber joyeusement. Quoiqu’on ne fût encore qu’au début de l’automne, un peu de feu était nécessaire pour sécher les vêtements humides de ces dames ; d’ailleurs la nuit était fraîche et l’air sifflait par les boiseries disjointes de cette pièce inhabitée.

Les comédiens, bien qu’habitués par leur vie errante aux gîtes les plus divers, regardaient avec étonnement cet étrange logis que les hommes semblaient avoir abandonné depuis longtemps aux esprits et qui faisait naître involontairement des idées d’histoires tragiques ; pourtant ils n’en témoignaient, en personnes bien élevées, ni terreur ni surprise.

« Je ne puis vous donner que le couvert, dit le jeune Baron, mon garde-manger ne renferme pas de quoi faire souper une souris. Je vis seul en ce manoir, ne recevant jamais personne, et vous voyez, sans que je vous le dise, que la fortune n’habite pas céans.

— Qu’à cela ne tienne, répliqua le Pédant ; si, au théâtre, l’on nous sert des poulets de carton et des bouteilles de bois tourné, nous nous précautionnons, pour la vie ordinaire, de mets plus substantiels. Ces viandes creuses et ces boissons imaginaires iraient mal à nos estomacs, et, en qualité de munitionnaire de la troupe, je tiens toujours en réserve quelque jambon de Bayonne, quelque pâté de venaison, quelque longe de veau de Rivière, avec une douzaine de flacons de vin de Cahors et de Bordeaux.

— Bien parlé, Pédant, exclama le Léandre ; va chercher les provisions, et, si ce seigneur le permet et daigne souper avec nous, dressons ici même la table du festin. Il y a dans ces buffets assez de vaisselle, et ces dames mettront le couvert. »

Au signe d’acquiescement que fit le Baron tout étourdi de l’aventure, l’Isabelle et la donna Sérafina, assises toutes deux près de la cheminée, se levèrent et rangèrent les plats sur la table préalablement essuyée par Pierre et recouverte d’une vieille nappe usée, mais blanche.

Le Pédant reparut bientôt portant un panier de chaque main, et plaça triomphalement au milieu de la table une forteresse de pâté aux murailles blondes et dorées, qui renfermait dans ses flancs une garnison de becfigues et de perdreaux. Il entoura ce fort gastronomique de six bouteilles, pour ouvrages avancés, qu’il fallait emporter avant de prendre la place. Une langue de bœuf fumée et une tranche de jambon complétèrent la symétrie.

Béelzébuth, qui s’était perché sur le haut d’un buffet et suivait curieusement de l’œil ces préparatifs extraordinaires, tâchait de s’approprier, au moins par l’odorat, toutes ces choses exquises étalées en abondance. Son nez couleur de truffe aspirait profondément les émanations parfumées ; ses prunelles vertes jubilaient et scintillaient, une petite bave de convoitise argentait son menton. Il aurait bien voulu s’approcher de la table et prendre sa part de cette frairie à la Gargantua si en dehors des sobriétés érémitiques de la maison ; mais la vue de tous ces nouveaux visages l’épouvantait et sa poltronnerie combattait sa gourmandise.

Ne trouvant pas la lueur de la lampe suffisamment rayonnante, le Matamore était allé chercher dans la charrette deux flambeaux de théâtre, en bois entouré de papier doré et munis chacun de plusieurs bougies, renfort qui produisit une illumination assez magnifique. Ces flambeaux, dont la forme rappelait celle du chandelier à sept branches de l’Écriture, se plaçaient ordinairement sur l’autel de l’hyménée, au dénoûment des pièces à machines, ou sur la table du festin, dans la Marianne de Mairet et l’Hérodiade de Tristan.

À leur clarté et à celle des bourrées flambantes, la chambre morte avait repris une espèce de vie. De faibles rougeurs coloraient les joues pâles des portraits, et si les douairières vertueuses, engoncées dans leurs collerettes et roides sous leur vertugadin, prenaient un air pincé à l’aspect des jeunes comédiennes folâtrant dans ce grave manoir, en revanche, les guerriers et les chevaliers de Malte semblaient leur sourire du fond de leur cadre et se trouver heureux d’assister à pareille fête, à l’exception de deux ou trois vieilles moustaches grises boudant obstinément sous leur vernis jaune, et gardant, malgré tout, les mines rébarbatives dont le peintre les avait dotées.

Un air plus tiède et plus vivace circulait dans cette vaste salle, où l’on ne respirait habituellement que l’humidité moisie du sépulcre. Le délabrement des meubles et des tentures était moins visible, et le spectre pâle de la misère semblait avoir abandonné le château pour quelques instants.

Sigognac, à qui cette surprise avait d’abord été désagréable, se laissait aller à une sensation de bien-être inconnue. L’Isabelle, donna Sérafina, et même la soubrette, lui troublaient doucement l’imagination et lui faisaient l’effet plutôt de divinités descendues sur la terre que de simples mortelles. C’étaient, en effet, de fort jolies femmes et qui eussent préoccupé de moins novices que notre jeune baron. Tout cela lui produisait l’effet d’un rêve, et il craignait à tout moment de se réveiller.

Le Baron donna la main à donna Sérafina, qu’il fit asseoir à sa droite. Isabelle prit place à gauche, la soubrette se mit en face, la duègne s’établit à côté du Pédant, Léandre et le Matamore s’assirent où ils voulurent. Le jeune maître du château put alors étudier tout à son aise les physionomies de ses hôtes vivement éclairées et ressortant avec un plein relief. Son examen porta d’abord sur les femmes, dont il ne serait pas hors de propos de tirer ici un léger crayon, tandis que le Pédant pratique une brèche aux remparts du pâté.

La Sérafina était une jeune femme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, à qui l’habitude de jouer les grandes coquettes avait donné l’air du monde et autant de manège qu’à une dame de cour. Sa figure, d’un ovale un peu allongé, son nez légèrement aquilin, ses yeux gris à fleur de tête, sa bouche rouge, dont la lèvre inférieure était coupée par une petite raie, comme celle d’Anne d’Autriche, et ressemblait à une cerise, lui composaient une physionomie avenante et noble à laquelle contribuaient encore deux cascades de cheveux châtains descendant par ondes au long de ses joues, où l’animation et la chaleur avaient fait paraître de jolies couleurs roses. Deux longues mèches, appelées moustaches et nouées chacune par trois rosettes de ruban noir, se détachaient capricieusement des crêpelures et en faisaient valoir la grâce vaporeuse comme des touches de vigueur que donne un peintre au tableau qu’il termine. Son chapeau de feutre à bord rond, orné de plumes dont la dernière se contournait en panache sur les épaules de la dame et les autres se recroquevillaient en bouillons, coiffait cavalièrement la Sérafina ; un col d’homme rabattu, garni d’un point d’Alençon et noué d’une bouffette noire, de même que les moustaches, s’étalait sur une robe de velours vert à manches crevées, relevées d’aiguillettes et de brandebourgs, et dont l’ouverture laissait bouillonner le linge ; une écharpe de soie blanche, posée en bandoulière, achevait de donner à cette mise un air galant et décidé.

Ainsi attifée, Sérafina avait une mine de Penthésilée et de Marphise très propre aux aventures et aux comédies de cape et d’épée. Sans doute tout cela n’était pas de la première fraîcheur, l’usage avait miroité par places le velours de la jupe, la toile de Frise était un peu fripée, les dentelles eussent paru rousses au grand jour ; les broderies de l’écharpe, à les regarder de près, rougissaient et trahissaient le clinquant ; plusieurs aiguillettes avaient perdu leurs ferrets, et la passementerie éraillée des brandebourgs se défilait par endroits ; les plumes énervées battaient flasquement sur les bords du feutre, les cheveux étaient un peu défrisés, et quelques fétus de paille, ramassés dans la charrette, se mêlaient assez pauvrement à leur opulence.

Ces petites misères de détail n’empêchaient pas donna Sérafina d’avoir un port de reine sans royaume. Si son habit était fané, sa figure était fraîche, et, d’ailleurs, cette mise paraissait la plus éblouissante du monde au jeune baron de Sigognac, peu habitué à de pareilles magnificences, et qui n’avait jamais vu que des paysannes vêtues d’une jupe de bure et d’une cape de calmande. Il était, du reste, trop occupé des yeux de la belle pour faire attention aux éraillures de son costume.

L’Isabelle était plus jeune que la donna Sérafina, ainsi que l’exigeait son emploi d’ingénue ; elle ne poussait pas non plus aussi loin la braverie du costume et se bornait à une élégante et bourgeoise simplicité, comme il convient à la fille de Cassandre. Elle avait le visage mignon, presque enfantin encore, de beaux cheveux d’un châtain soyeux, l’œil voilé par de longs cils, la bouche en cœur et petite, et un air de modestie virginale, plus naturel que feint. Un corsage de taffetas gris, agrémenté de velours noir et de jais, s’allongeait en pointe sur une jupe de même couleur ; une fraise, légèrement empesée, se dressait derrière sa jolie nuque où se tordaient de petites boucles de cheveux follets, et un fil de perles fausses entourait son col ; quoiqu’au premier abord elle attirât moins l’œil que la Sérafina, elle le retenait plus longtemps. Si elle n’éblouissait pas, elle charmait, ce qui a bien son avantage.

La soubrette méritait en plein l’épithète de morena que les Espagnols donnent aux brunes. Sa peau se colorait de tons dorés et fauves comme celle d’une gitana. Ses cheveux drus et crespelés étaient d’un noir d’enfer, et ses prunelles d’un brun jaune petillaient d’une malice diabolique. Sa bouche, grande et d’un rouge vif, laissait luire par éclairs blancs une denture qui eût fait honneur à un jeune loup. Du reste, elle était maigre et comme consumée d’ardeur et d’esprit, mais de cette maigreur jeune et bien portante qui ne fait point mal à voir. À coup sûr, elle devait être aussi experte à recevoir et à remettre un poulet à la ville qu’au théâtre ; mais elle devait bien compter sur ses charmes, la dame qui se servait d’une pareille Dariolette ! En passant par ses mains, plus d’une déclaration d’amour n’était pas arrivée à son adresse, et le galant oublieux s’était attardé dans l’antichambre. C’était une de ces femmes que leurs compagnes trouvent laides, mais qui sont irrésistibles pour les hommes et semblent pétries avec du sel, du piment et des cantharides, ce qui ne les empêche pas d’être froides comme des usuriers lorsqu’il s’agit de leurs intérêts. Un costume fantasque, bleu et jaune avec un bavolet de fausse dentelle, composait sa toilette.

Dame Léonarde, la mère noble de la troupe, était vêtue tout de noir comme une duègne espagnole. Des coiffes d’étamine encadraient sa figure grasse à plusieurs mentons, pâlie et comme usée par quarante ans de fard. Des tons d’ivoire jauni et de vieille cire blêmissaient son embonpoint malsain, venu plutôt de l’âge que de la santé. Ses yeux, sur lesquels descendait une paupière molle, avaient une expression d’astuce, et faisaient comme deux taches noires dans sa figure blafarde. Quelques poils commençaient à obombrer les commissures de ses lèvres, quoiqu’elle les arrachât soigneusement avec des pinces. Le caractère féminin avait presque disparu de cette figure, dans les rides de laquelle on eût retrouvé bien des histoires, si l’on eût pris la peine de les y chercher. Comédienne depuis son enfance, dame Léonarde en savait long sur une carrière dont elle avait successivement rempli tous les emplois jusqu’à celui de duègne, accepté si difficilement par la coquetterie, toujours mal convaincue des ravages du temps. Léonarde avait du talent, et, toute vieille qu’elle était, savait se faire applaudir, même à côté des jeunes et jolies, toutes surprises de voir les bravos s’adresser à cette sorcière.

Voilà pour le personnel féminin. Les principaux emplois de la comédie s’y trouvaient représentés, et, s’il manquait un personnage, on racolait en route quelque comédien errant ou quelque amateur de théâtre, heureux de se charger d’un petit rôle, et d’approcher ainsi des Angéliques et des Isabelles. Le personnel mâle se composait du Pédant déjà décrit, et sur lequel il n’est pas nécessaire de revenir, du Léandre, du Scapin, du Tyran tragique et du Tranche-montagne.

Le Léandre, obligé par état de rendre douces comme brebis les tigresses les plus hyrcaniennes, de duper les Truffaldins, d’écarter les Ergastes et de passer à travers les pièces toujours superbe et triomphant, était un garçon de trente ans que les soins excessifs qu’il prenait de sa personne faisaient paraître beaucoup plus jeune. Ce n’est pas une petite affaire que de représenter, pour les spectatrices, l’amant, cet être mystérieux et parfait, que chacun façonne à sa guise d’après l’Amadis ou l’Astrée. Aussi messer Léandre se graissait-il le museau de blanc de baleine, et s’enfarinait-il chaque soir de poudre de talc ; ses sourcils, dont il arrachait avec des pinces les poils rebelles, semblaient une ligne tracée à l’encre de Chine, et finissaient en queue de rat. Des dents, brossées à outrance et frottées d’opiat, brillaient comme des perles d’Orient dans ses gencives rouges, qu’il découvrait à tout propos, méconnaissant le proverbe grec qui dit que rien n’est plus sot qu’un sot rire. Ses camarades prétendaient que, même à la ville, il mettait une pointe de rouge pour s’aviver l’œil. Des cheveux noirs, soigneusement calamistrés, se tordaient au long des joues en spirales brillantes un peu alanguies par la pluie, ce dont il prenait occasion pour leur redonner du tour avec le doigt, et montrer ainsi une main fort blanche, où scintillait un solitaire beaucoup trop gros pour être vrai. Son col rabattu laissait voir un cou rond et blanc rasé de si près que la barbe n’y paraissait pas. Un flot de linge assez propre bouillonnait entre sa veste et ses chausses tuyautées d’un monde de rubans, dont la conservation paraissait l’occuper beaucoup. En regardant la muraille, il avait l’air de mourir d’amour, et ne demandait point à boire sans pâmer. Il ponctuait ses phrases de soupirs et faisait, en parlant des choses les plus indifférentes, des clins d’yeux, des airs penchés et des mines à crever de rire ; mais les femmes trouvaient cela charmant.

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Le Scapin avait une tête de renard, futée, pointue, narquoise : ses sourcils remontaient sur son front en accent circonflexe, découvrant un œil émerillonné toujours en mouvement, et dont la prunelle jaune tremblotait comme une pièce d’or sur du vif-argent ; des pattes d’oie de rides malignes se plissaient à chaque coin de ses paupières pleines de mensonges, de ruses et de fourberies ; ses lèvres, minces et flexibles, remuaient perpétuellement, et montraient, à travers un sourire équivoque, des canines aiguës d’aspect assez féroce ; et, quand il ôtait sa barrette rayée de blanc et de rouge, ses cheveux coupés en brosse accusaient les contours d’une tête bizarrement bossuée. Ces cheveux étaient fauves et feutrés comme du poil de loup, et complétaient le caractère de bête malfaisante répandu sur sa physionomie. On était tenté de regarder aux mains de ce drôle pour voir s’il ne s’y trouvait pas des calus causés par le maniement de la rame, car il avait bien l’air d’avoir passé quelques saisons à écrire ses mémoires sur l’Océan avec une plume de quinze pieds. Sa voix fausse, tantôt haute, tantôt basse, procédait par brusques changements de tons et glapissements bizarres, qui surprenaient et faisaient rire sans qu’on en eût envie ; ses mouvements inattendus et comme déterminés par la détente subite d’un ressort caché, présentaient quelque chose d’illogique et d’inquiétant, et paraissaient servir plutôt à retenir l’interlocuteur qu’à exprimer une pensée ou un sentiment. C’était la pantomime du renard évoluant avec rapidité, et faisant cent tours de passe-passe sous l’arbre du haut duquel le dindon fasciné le regarde avant de se laisser choir.

FIN DE L’EXTRAIT

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